Qu’est-ce qui vous a motivée à vous lancer sur YouTube pour réaliser des reportages avec vos propres moyens, et comment cette plateforme peut-elle changer votre approche du journalisme ?
Justine Reix : Ce qui m’a vraiment motivée, c’est la liberté que YouTube offre. Contrairement aux médias traditionnels où l’on ressent souvent une “pression” pour couvrir l’actualité chaude, ici je peux prendre le temps de traiter des sujets à froid, analyser en profondeur, sans être contrainte par des délais imposés. La liberté éditoriale est totale : je décide de la ligne éditoriale, je choisis les sujets qui me tiennent à cœur et en lien avec ma vision, et surtout, je peux être sûre de l’information que je partage.
C’est vrai que c’est quelque chose qu’on recherche tous, et malheureusement, qu’on perd aussi parfois avec les médias traditionnels. Je travaillais de plus en plus dans le milieu YouTube, et je me suis donc dit, pourquoi pas me lancer ?
En tant que journaliste active sur YouTube, quelles sont, selon vous, les opportunités et les défis spécifiques de cette plateforme par rapport aux médias traditionnels ?
J.R. : Le premier défi majeur sur YouTube, c’est sans doute le financement. Dans les médias traditionnels, les coûts de production, comme l’achat de matériel ou le montage, sont souvent pris en charge. Sur la plateforme, au départ surtout, tout repose sur nous, créateurs. Il faut investir personnellement dans le matériel, le son, la caméra ou encore payer un monteur.
En revanche, YouTube offre des opportunités considérables. La plateforme est gratuite, ce qui permet une visibilité large, touchant un public diversifié, notamment les jeunes générations qui consomment moins les médias payants. De plus, YouTube favorise les collaborations entre créateurs. Faire des vidéos en commun, c’est un excellent moyen de se faire connaître par les communautés des uns et des autres.
Bien sûr, il y a les contraintes algorithmiques, on doit comprendre comment plaire à la plateforme pour optimiser la visibilité. Mais ce qui est intéressant, c’est que le contenu est souvent vu par des gens déjà intéressés par nos sujets, grâce aux recommandations.
Comment percevez-vous l’hybridation entre le monde des influenceurs et celui des journalistes, notamment à travers vos collaborations avec des figures comme Squeezie et Hugo Décrypte ?
J.R. : Cela fait quelques années que les grands Youtubeurs font appel à des rédacteurs pour écrire leurs vidéos, mais l’intégration de journalistes directement dans le processus est plus récente. Mon expérience avec Simon Quesh, par exemple, a montré l’importance d’ajouter une patte éditoriale, mais aussi un fact-checking rigoureux pour garantir la véracité des informations. Une vigilance essentielle aujourd’hui pour éviter les fake news et les mauvaises interprétations.
Cependant, il y a des défis à surmonter, notamment le modèle économique. Beaucoup de YouTubeurs ne peuvent pas offrir des postes stables aux journalistes, souvent limités à des piges ou des rémunérations en droits d’auteur. Cela nécessite une certaine adaptation de notre part et souligne le manque d’encadrement autour de cette pratique pour le moment.
En travaillant avec des créateurs de contenu, je m’assure de maintenir mes standards journalistiques, même si le créateur a le dernier mot sur sa chaîne. Sur la mienne, je garde le contrôle total, assurant ainsi que chaque information partagée est soigneusement vérifiée. Cela peut parfois rendre le ton plus sérieux, mais je tiens à préserver cette posture journalistique.
Comment ces changements sont-ils vécus par vos collègues journalistes et comment voyez-vous ces changements s’implanter chez les plus anciens et chez les plus jeunes, puisque vous enseignez aussi en école de journalisme ?
J.R. : Les opinions sont partagées. Certains le voient comme un moyen d’indépendance, tandis que d’autres estiment que ce n’est pas du journalisme traditionnel. Il est essentiel de comprendre que le métier évolue et qu’un encadrement pourrait être nécessaire pour clarifier les rôles entre créateurs de contenu et journalistes.
Pour Hugo Décrypte, bien qu’il ne soit pas officiellement journaliste, il a su révolutionner le secteur en s’adressant directement aux jeunes sur des plateformes qui innovent. Sa posture journalistique est évidente, même sans carte de presse.
Enseignant en journalisme, je vois un intérêt croissant des étudiants pour les nouvelles plateformes comme YouTube ou Twitch. Certaines écoles intègrent déjà ces outils, tandis que d’autres tardent encore à le faire. L’évolution est en cours.
Comment nos clients peuvent-ils s’adapter à ce nouvel environnement et développer des stratégies efficaces en prenant en compte cette hybridation ?
J.R. : Il est important de reconnaître que travailler avec des influenceurs peut être un outil puissant, mais il ne doit pas se limiter à une simple diffusion de messages pré-construits. Offrir une carte blanche à des créateurs peut mener à des campagnes plus authentiques et engageantes.
Les partenariats avec des journalistes qui deviennent créateurs de contenu permettent de maintenir une intégrité journalistique, une crédibilité et une profondeur supplémentaires, tout en bénéficiant de la portée des plateformes numériques.