Le sens et les marques au crible de la science
En ce début d’année, Wellcom dévoile les résultats d’un projet de recherche unique sur le sens réalisé en partenariat avec le Laboratoire de Psychologie et NeuroCognition de l’Université Grenoble Alpes. L’occasion d’échanger avec son directeur, Martial Mermillod, qui a piloté le projet avec son équipe et Michaël Landry, planneur stratégique au sein de Wellcom.

Martial, pouvez-vous vous présenter ?
Martial Mermillod : Je suis enseignant chercheur et directeur du Laboratoire de Psychologie et NeuroCognition (LPNC) de Grenoble, une unité mixte de recherche rattachée au CNRS. Je travaille dans le domaine des sciences cognitives. Je m’intéresse à la fois au fonctionnement des cognitions, aux comportements cognitif, social et émotionnel des individus ainsi qu’à l’IA fondée sur des réseaux de neurones artificiels.
Le laboratoire travaille particulièrement dans le domaine de l’éducation, de la santé et aussi sur les “transitions” : énergétiques, écologiques, … pour comprendre comment les gens s’adaptent au changement. Dans ce contexte, creuser “ce qui fait sens” pour les gens nous a beaucoup intéressés.
Quelle serait votre définition du sens ?
Michaël Landry : Ça pourrait être une question sans fin. Le terme « sens » est extrêmement riche en français, englobant des notions telles que la signification, la direction, la sensorialité (les cinq sens) et permettant une multitude de jeux de mots. Nous adorons les jeux de mots à l’agence mais en ce qui concerne le sens, notre approche consiste justement à exclure toutes formes de pirouettes. Nous ne parlons pas non plus du sens dans une perspective philosophique. Nous avons voulu recentrer cette notion sur ce qui est réellement utile aux marques et qui génère l’adhésion des publics aujourd’hui.
En interrogeant les Français, nous nous sommes rendus compte que le sens n’est pas l’apanage des marques les plus engagées. Le sens d’une marque ou d’une entreprise, c’est l’ensemble de ces caractéristiques propres qui s’inscrivent dans ses preuves et ses ancrages (Sens Socle), dans sa personnalité, sa vision, ses engagements (Sens Sublimé) et dans la force des relations qu’elle noue avec toutes ses parties prenantes (Sens Liens). De plus, ce “sens” n’est pas figé, c’est un capital à développer, consolider, faire fructifier. Notre définition du sens, nous pouvons la donner avec des mots mais nous sommes plus à l’aise quand nous présentons notre grille d’analyse. Notre meilleure définition du sens, c’est le « Capital Sens® « .
Pourquoi avoir réalisé cette étude ?
M.L : Il y a un peu plus d’un an, nous avons décidé d’approfondir notre outil Capital Sens®, initialement basé sur des sondages d’opinion. Nous voulions vérifier sa pertinence et mesurer l’effet du sens sur l’adhésion des publics. Pour cela, nous avons contacté Martial, un chercheur dont je connaissais les travaux depuis mes années de thèse. Ensemble, nous avons exploré comment le sens influence les consommateurs dans leur choix quotidien, notamment dans le contexte de la transition écologique et énergétique.
L’objectif principal était de valider scientifiquement notre outil, de l’enrichir éventuellement avec de nouvelles dimensions, telles que la durabilité, la recyclabilité ou l’économie locale et circulaire par exemple. Un autre aspect crucial était de déterminer si les réponses des participants étaient sincères, au-delà des biais de désirabilité sociale.
Quelle méthodologie a été utilisée et pourquoi ?
Martial Mermillod : Nous avons mesuré, d’une part, l’adhésion au sens chez les individus avec des mesures directes – en déclaratif – mais également avec des mesures indirectes qui évaluent les réponses implicites et évitent ainsi les biais cognitifs. Nous souhaitions également identifier d’autres dimensions du sens pour enrichir l’outil Capital Sens et nous assurer que chaque aspect du cadre d’analyse était pertinent. Pour cela, notre protocole scientifique comportait deux méthodologies principales. La première consistait en des mesures directes sur une échelle de 0 à 100, offrant une évaluation continue et statistiquement riche de l’adhésion des individus. Cela nous a permis de démontrer des différences significatives, non dues au hasard.
Cependant, pour éviter les biais expliqués plus tôt, nous avons complété ces mesures par des évaluations indirectes des attitudes implicites. À notre grande satisfaction, ces mesures ont confirmé que la quête de sens est sincère, indiquant que les participants n’ont pas simplement cherché à donner une bonne image d’eux-mêmes.
Quels points clés ont été mis en lumière ?
M.M : Notre étude a mis en lumière plusieurs points essentiels sur le rôle central du sens dans les décisions des consommateurs aujourd’hui. Tout d’abord, nous avons constaté que le sens est devenu plus important que les valeurs traditionnelles telles que le plaisir, le prestige ou même, dans une certaine mesure, que le prix. Les consommateurs sont désormais à la recherche de marques qui incarnent des valeurs telles que la durabilité, la responsabilité sociale, et l’engagement envers l’économie locale.
Ce qui est particulièrement remarquable, c’est que cette quête de sens est sincère. Nous avons, grâce à notre méthodologie, su mesurer cette sincérité en évitant tous les biais communs de désirabilité sociale.
Pourquoi le sens est-il tant recherché ?
M.L : Dans le climat actuel, où l’incertitude et parfois le nihilisme dominent, le sens est devenu un antidote essentiel. Les marques qui véhiculent des valeurs authentiques et significatives offrent non seulement une perspective positive mais aussi des repères stables. Cela répond à un besoin croissant de direction et de cohérence dans un monde où les informations sont souvent contradictoires.
Par ailleurs, face à l’individualisme et à l’isolement social grandissants, le sens joue un rôle crucial en rassemblant les individus autour de valeurs communes, créant ainsi des liens authentiques au-delà des intérêts superficiels.
M.M : Pour compléter ce point, il est important de noter que ce besoin de sens se manifeste également fortement dans le domaine professionnel. De nombreuses personnes ressentent un manque de signification dans leur travail. Avec l’augmentation des opportunités, surtout dans des secteurs en pénurie de main-d’œuvre, les jeunes cherchent des métiers qui ont véritablement du sens. Cette quête s’étend également à la consommation, où les individus privilégient les marques offrant des produits durables et réparables, pour un sentiment de continuité et de sécurité.