Christophe Renaudineau : Améliorer l’expérience client des lieux culturels grâce à l’IA
Exposée au Musée d’Orsay jusqu’en février dernier, l’expérience interactive Bonjour Vincent (créée par l’entreprise Jumbo Mana) propose aux visiteurs de discuter avec l’avatar de Vincent Van Gogh. Le château d’Auvers-sur-Oise fait actuellement durer le plaisir jusqu’au mois de septembre. Christophe Renaudineau, fondateur de Jumbo Mana, revient sur les enjeux de cet outil de médiation culturelle, basé sur une intelligence artificielle générative.
Comment est née l’expérience « Bonjour Vincent » ?
J’ai commencé à travailler dans le domaine de l’IA il y a 15 ans, bien avant qu’elle ne se démocratise. En 2020, j’ai rejoint une start-up qui souhaitait mettre l’IA au service de la culture, notamment en développant un personnage qui parlait à la façon de Monet. C’était une grande exclusivité à l’époque où ChatGPT n’existait pas encore ! Deux ans après, j’ai créé Jumbo Mana pour utiliser le plein potentiel des technologies d’intelligence artificielle. Faire passer leurs utilisations concrètes du statut de science-fiction à celui de réalité, c’est un peu comme réaliser un rêve d’enfant. Pour aboutir à l’expérience « Bonjour Vincent », exposée durant 4 mois au Musée d’Orsay, j’ai commencé par mener des travaux de recherche sur Vincent Van Gogh, accompagné par l’historien de référence en la matière : Wouter Van Der Veen. Le but étant de créer le clone numérique le plus fiable possible, jusque dans sa façon de bouger ou de s’exprimer, notamment en recréant son accent néerlandais. Une dizaine de personnes (chercheurs spécialisés en IA, artistes pour réaliser les graphismes, etc.) ont contribué au projet. Au bout de 6 mois, début 2023, nous avons pu proposer une démonstration au Musée d’Orsay, qui nous a tout de suite fait confiance.
Comment garantissez-vous la véracité des faits et la fiabilité de vos sources ?
Afin d’incarner la personnalité de Van Gogh de façon authentique, nous avons adopté l’approche la plus scientifique possible dans la constitution de notre base d’informations. Nous avons notamment mené un travail de recherche bibliographique important, se basant sur un ensemble de 900 lettres rédigées de la plume de Vincent, mais aussi sur des biographies écrites par des historiens de l’art. Toutes ces sources ont ensuite été validées par un comité scientifique. Notre IA les utilise en milieu fermé : elle n’est pas connectée à internet, afin que les risques de dérapages ou de fausses informations soient écartés. Toutefois, nous avons dû arbitrer certains débats et nous positionner sur l’interprétation de certains faits : par exemple, quelques experts affirment que Van Gogh s’est coupé l’oreille entière, tandis que d’autres pensent que seulement une partie était concernée. Nous avons croisé toutes ces données pour tisser la vérité la plus proche des faits. Faire des choix, c’est souvent le jeu en histoire de l’art !
Quelles sont les possibilités d’utilisation d’un tel outil ?
Cet outil incarné offre une expérience authentique aux visiteurs, pouvant discuter avec les avatars de façon personnalisée. Il fournit une véritable valeur ajoutée grâce à des informations qui vont au-delà de ce qu’on peut trouver sur internet. Van Gogh étant un des artistes les plus connus au monde, nous avons déjà reçu des courriers de visiteurs très émus d’avoir pu discuter avec lui ! Une preuve que cette solution ultra personnalisée propose des discussions uniques, allant jusqu’à toucher ceux qui ont un rapport émotionnel à l’artiste. Avec ce genre d’expérience, nous avons pour ambition de rendre l’IA plus interactive et plus humaine, afin de révolutionner les rapports entre hommes et machines. Dans un contexte d’inflation et de chômage, il est intéressant de se pencher sur la place que peut prendre l’IA dans nos emplois. Pour moi, nous sommes bien loin du « grand remplacement » : au contraire, ce type d’outil peut résoudre les problématiques de gestion de flux importants dans les musées et lieux culturels, là où il n’y a déjà plus assez de main d’œuvre (guides, traducteurs…). L’avatar peut facilement devenir un assistant capable de guider les visiteurs à travers une exposition en cas de fortes affluences, afin d’améliorer l’expérience client et la qualité de service des lieux culturels.
Dans quelle mesure l’IA peut être une menace pour la culture ?
Il faut rester pragmatiques sur le fait que la technologie ne sauvera pas l’humanité, et être conscients de ses dangers pour mieux les éviter. D’abord, il est important de s’intéresser à l’enjeu de la propriété intellectuelle : sans cadre adéquat, l’utilisation de l’IA peut vite mettre en péril les droits d’auteur. Pour mener des projets éthiques, il faut s’assurer d’avoir le droit d’exploiter les sources concernées et rester transparent en les citant. L’IA est aujourd’hui un outil tellement démocratisé que son utilisation peut vite déraper, mettant parfois en péril la véracité des informations. C’est pourquoi de son côté, le grand public doit travailler à se forger un esprit critique, rester vigilant sur les informations qu’il reçoit, mais aussi veiller à utiliser des plateformes et des outils attestés comme fiables et éthiques.
Quels sont vos prochains objectifs ?
Au mois de mai, nous lancerons un second avatar intégrant les nouvelles avancées de notre technologie : celui d’Arthur Rimbaud, en collaboration avec l’équipe des musées de Charleville-Mézières, car cette ville est fortement imprégnée de l’artiste. D’ici cet été, nous prévoyons également la sortie du personnage d’Albert Schweitzer, médecin et philosophe. En parallèle, nous travaillons sur la création d’avatars intelligents dans les jeux vidéo. Si la plupart des PNJ (personnages non joueurs) ont une intelligence et une réflexion limitées, notre ambition est d’utiliser le potentiel de l’IA pour nourrir leurs discussions et leur permettre de répondre au joueur comme des humains. J’interviendrai d’ailleurs au mois de mai sur le salon Vivatech pour y révéler le jeu que nous venons de réaliser. Il propose des PNJ avec des personnalités uniques et des traits de caractère définis, ce qui donne au joueur l’impression d’être dans un véritable film animé.