Robin Roumengas : « L’IA donne un potentiel d’innovation immense à la e-santé »
Juisci, récemment entrée dans le top 100 des entreprises françaises et dans le top 15 des start-ups de santé dans le classement Challenges, propose une application dédiée aux professionnels de santé. Sa promesse ? Offrir l’essentiel de l’information scientifique à sa communauté médicale à travers une intelligence artificielle. L’application totalise 125 000 utilisateurs dans le monde avec plus de 25 spécialités médicales, et a sorti plus de 700 000 synthèses depuis sa création en mars 2021. Robin Roumengas, cofondateur, revient sur les enjeux de la start-up.
Comment est née l’application Juisci ?
Après mes études, j’ai cofondé deux start-ups dans la e-santé en Asie et aux Etats-Unis. C’est à New-York que j’ai rencontré Le Docteur David Luu, chirurgien cardio-pédiatrique et CMO chez Juisci. Ensemble, nous avons lancé ce projet en partant d’un constat : on assiste à une hyperinflation de l’information médicale, avec un nombre de contenus qui évolue de plus en plus vite. Une étude américaine montre d’ailleurs que depuis 2020, l’information médicale double tous les 73 jours, alors qu’en 1950, elle doublait tous les 50 ans. La pandémie de COVID-19 a notamment donné un coup d’accélérateur au domaine de la recherche, mobilisé pour trouver des solutions et des traitements rapidement. Dans ce contexte, pour tout professionnel de santé, le travail de veille et d’actualisation des connaissances médicales est devenu un processus chronophage, complexe et éreintant. Nous avons donc eu l’idée d’automatiser cette tâche grâce à une intelligence artificielle.
Quelle est l’ambition de l’application ?
Le nom « Juisci » fait référence à notre promesse : offrir un « jus de science », un concentré d’information au quotidien à travers une application simple à prendre en main. Elle s’adresse d’abord aux professionnels de santé : étudiants, internes, infirmiers, pharmaciens, médecins généralistes et spécialistes. Et pour permettre aux hôpitaux, sociétés savantes ou entreprises des sciences de la vie d’automatiser leur propre veille, nous proposons aussi une version payante de l’application : Juisci Workspace. Ce Dashboard permet aux utilisateurs de personnaliser leurs sujets de veille à l’aide de mots clés s’ils souhaitent creuser des thématiques précises. Les résumés peuvent ensuite être partagés à leurs équipes ou professionnels de santé sur une interface dédiée, ou via un plug-in à installer.
Comment fonctionne son algorithme et comment garantit-il la fiabilité de l’information proposée ?
Nous avons développé notre intelligence artificielle propriétaire. Elle utilise des modèles de langage pré-entraînés, qui peuvent effectuer du traitement de langage automatisé. L’application fonctionne à l’aide de plusieurs algorithmes, entraînés par notre équipe médicale et de data scientists. Le travail de notre IA se divise en plusieurs étapes : d’abord, l’indexation des contenus, qui consiste à collecter différentes publications, études cliniques et recommandations médicales. Ensuite, le filtrage des informations, puis la synthèse des contenus, et enfin leur traduction, car la grande majorité de la littérature est en anglais. Le filtrage est effectué à partir de critères encodés dans les algorithmes et validés par l’ensemble de la communauté médicale. De plus, pour renforcer la fiabilité et la neutralité des informations, notre équipe médicale est épaulée par un conseil scientifique et éthique, composé de professeurs, chercheurs et médecins. Ensuite, l’objectif est de proposer le bon contenu à la bonne personne et au bon moment grâce à un algorithme de recommandations. Nous souhaitons également amener les utilisateurs à s’ouvrir à de nouvelles perspectives de contenus : un médecin généraliste peut tout à fait s’intéresser de plus près à la cardiologie. Nous nous servons de la technologie comme moyen pour démocratiser et simplifier l’assimilation de l’information médicale, et c’est pourquoi notre application publique est gratuite.
La démocratisation des intelligences artificielles marque-t-elle un tournant clé pour le monde de la santé ?
Avec la montée en puissance des intelligences artificielles, le potentiel d’innovation et d’amélioration des technologies dans la e-santé est immense. Du côté technique, nous avons quasiment déjà toutes les cartes en mains. Toutefois, dans un domaine comme celui de la santé, on ne peut pas utiliser ces technologies directement, sans les adapter aux fonctionnements et aux enjeux du secteur. Typiquement, il est indispensable de mettre en place des garde-fous pour cadrer ces innovations : notamment afin d’assurer la fiabilité des informations que nous utilisons et que nous transmettons. Les innovations technologiques ne sont qu’un moyen, un diamant brut que nous devons tailler, pour obtenir quelque chose de précis, fiable et actualisé.
Cette tendance a-t-elle un impact positif sur le développement de Juisci ?
Nous continuons à itérer sur notre technologie en permanence et à y intégrer les dernières évolutions des intelligences artificielles. Par exemple, nous travaillons sur l’intégration de la puissance de calcul d’Open AI pour proposer des résumés de nos synthèses quotidiennes, des jus de jus, des sortes de « nectars de science ». Cette fonctionnalité permettra d’offrir une vue rapide et complète des contenus que nous avons sélectionné pour chaque utilisateur. De façon générale, notre objectif premier est d’accélérer nos partenariats avec les hôpitaux, sociétés savantes, laboratoires pharmaceutiques, etc. Grâce à l’accélérateur de startups Future4Care (alliance entre Sanofi, Orange, Generali et Capgemini) et à la Villa M (pensée par le Groupe Pasteur Mutualité), nous avons lancé une dynamique très positive en nous rapprochant de différents acteurs de la santé. Par exemple, avec Sanofi, nous participons prochainement à une journée dédiée à la santé numérique et au diabète, accueillant des leaders du domaine pour discuter de ses enjeux futurs. Nous travaillons enfin sur le développement de nouvelles fonctionnalités, comme la traduction des textes vers d’autres langues que l’anglais et le français.