Avec « Perri Scope », vous proposez chaque jour une émission de débat sur un thème de l’actualité économique. Comment construisez-vous vos émissions ? Qu’est-ce-qui guide votre choix d’invités ?
Avant d’identifier un ou plusieurs invités, je recherche chaque matin quel est le sujet économique le plus puissant, celui que je considère le plus susceptible de produire du débat. Parfois, celui qui révèle les angles morts de nos politiques publiques. Perri Scope, c’est tout à la fois une émission de décryptage sur le ou les sujets économiques et sociaux du moment, et aussi une proposition éditoriale. L’opinion y a sa place et je n’hésite pas à défendre la mienne. L’émission se présente sous la forme d’un échange. J’aime à dire qu’il s’agit d’une conversation économique ouverte, volontairement pédagogique, adossée à des infographies lisibles.
J’accueille des chefs d’entreprises, des économistes, des géographes, quelques syndicalistes. Nous en sommes à la 400ème. J’ai reçu des centaines de personnalités. Des têtes connues mais aussi de petits nouveaux et de petites nouvelles, des hommes et des femmes qui ont des choses à dire, une expertise à défendre, un parcours utile, un regard nouveau sur les marchés. Les débats peuvent être contradictoires mais la contradiction est toujours respectueuse. Les polémiques et les punchlines n’ont pas cours chez moi. Le débat est documenté, robuste. Certaines voix n’auront jamais accès à cette émission. Soit parce qu’elles sont insuffisamment qualifiées pour parler d’économie, soit parce qu’elles ne sont pas susceptibles de respecter les règles de savoir-être de l’émission. A chaque fois que je reçois des messages comme « vous me faites aimer l’économie » ou « j’aurais aimé avoir un prof comme vous », je considère que j’ai gagné… momentanément !
Qu’est-ce-qui fait selon vous le succès de cette émission quotidienne ?
Les Français considèrent souvent l’économie comme un objet mystérieux. Je m’efforce de rendre plus simple ce qui est compliqué en utilisant tous les outils que fournit la télévision : courbes, graphiques, infographies, reportages. Il y a un immense appétit de compréhension autour des questions économiques du quotidien : sur les politiques publiques, sur la fiscalité, les transports, les questions de l’énergie.
Perri Scope prend le temps de l’explication. C’est un pari pédagogique. Mais la pédagogie n’est pas incompatible avec l’opinion, avec le « frottement des idées ». J’ai enseigné l’économie pendant ces quinze dernières années et j’ai toujours conçu mon rôle dans le cadre d’un récit. On peut raconter l’économie grâce aux exemples du quotidien. Il faut le faire dans la joie et la bonne humeur parce que c’est une science vivante et profondément humaine. Je le fais de façon bienveillante en respectant le point de vue de mes invités et sans esprit donneur de leçon. Le monde est rempli de « sachants ». On doit être modeste face à la connaissance en sachant que la vérité ne se montre jamais toute entière !
Après deux mois d’arrêt, les entreprises se remettent en marche. Selon vous, comment l’industrie française peut-elle se remettre de cette épreuve ?
L’industrie française est entrée dans la crise avec de très sérieux handicaps. Elle n’en sortira pas plus forte ! La France s’est fortement désindustrialisée depuis le début des années 2000. Les responsabilités sont multiples. Le début du siècle, c’est l’époque où des dirigeants d’entreprises affirment qu’on « peut faire de l’industrie sans usines » ! Ridicule. Nos voisins eux, au contraire, choisissent d’armer et de renforcer leurs industries. Le chancelier Schröder dira aussi « les 35 heures sont un formidable cadeau pour l’industrie allemande »… Cruel mais vrai. 3 millions d’emplois industriels en France, le double en Allemagne !
Nous traînons nos erreurs stratégiques, l’absence de politique continue et ambitieuse, des fautes en matière de positionnement de l’offre… Tous les grands secteurs industriels sont réinterrogés par la crise : aéronautique, automobile, chimie. Il faut en profiter pour mieux penser l’offre industrielle française. Nous avons vocation à produire de la valeur ajoutée et non des produits « entrée de gamme ». L’industrie française doit s’adapter. Il faut lutter contre la vieille culture industrielle du XXe siècle qui associait l’industrie au labeur, aux cheminées fumantes. L’industrie du XXIe siècle sera plus intensive en capital et moins en main d’œuvre. Elle sera robotisée et digitale et les cols blancs y auront une place encore plus importante. C’est l’innovation qui est le chemin. Méfions-nous des discours très en cours sur le statut du progrès. Notre modèle social et notre intérêt écologique bien pensé ont plus besoin de progrès que de décroissance.
Le Président Macron a tracé un nouveau chemin pour la France qui passe notamment par un renforcement de la souveraineté économique. Quel regard portez-vous sur ces déclarations ?
Nul Etat ne devrait avoir perdu sa souveraineté ! Le territoire reste l’espace naturel d’organisation de l’Etat-nation. Pour être libres, nous devons en effet être souverains. Pas nécessairement sur tout mais sur ce qui est essentiel : alimentation, santé, énergies, transports… en plus des fonctions régaliennes historiques de l’Etat comme la diplomatie ou la défense. Entendue au sens économique, la souveraineté c’est pouvoir produire ce qu’on sait produire à des conditions de prix acceptables par les consommateurs et à des conditions de revenu satisfaisantes pour les producteurs. Je me méfie des discours sur les relocalisations. L’organisation de filières de production répond à des règles d’efficacité économique parfois incompatibles avec les représentations rêvées du monde ! Il y a ce qui est possible et tout le reste…
A la suite de la crise du Covid-19, comment voyez-vous l’économie française de demain ?
L’Etat a joué un rôle d’amortisseur de crise comme jamais dans notre histoire économique. Il a assuré la survie du tissu productif et distribué des revenus aux Français privés d’activité. L’Etat « super Nounou » est allé très loin dans sa politique d’assistance aux agents économiques. L’économie française se transforme mais cette transformation était engagée bien avant la crise. Pour aller plus vite, il faut conduire rapidement quelques réformes. J’en vois deux qui sont significatives : une première sur les impôts de production qui frappent toutes les entreprises, même celles qui ne réalisent pas de bénéfices. Comment voulez-vous qu’elles créent des emplois ou qu’elles investissent quand l’Etat se sert le premier ? Et deuxième idée, il faut SIMPLIFIER. La complexité, les normes, ont un coût caché qui retarde les projets, réduit les initiatives, décourage les investisseurs. L’économie française est victime d’une administration tentaculaire, organisée en silos qui ne correspondent pas les uns avec les autres. Notre modèle a engendré ce monstre qui s’appelle la complexité et qui tue les volontés les plus ardentes.