Le Covid-19, un tremplin pour le made in France ?
Après une crise sanitaire mondiale sans précédent et alors que les salariés ont repris le chemin du bureau, le made in France et l’industrie française sont au cœur des préoccupations. Si bien que le Président Macron a annoncé dans son discours du 14 juin que le rebond de l’économie du pays devait passer par une « indépendance technologique, numérique, industrielle et agricole ». Un pas vers une souveraineté économique renforcée alors que les Français ont montré durant le confinement un certain attachement au made in France. Mais comment analyser cette tendance ? Est-ce la révolution du monde d’après annoncée ? Comment les marques peuvent-elles miser sur leur savoir-faire français pour se relancer ? Michael Landry, Planneur Stratégique chez Wellcom, partage son analyse.
« Le Covid-19 aura cristallisé beaucoup de tendances sociétales qui étaient en germe depuis les années 2000 », explique Michael. « Je dirais que cette crise n’est pas un bouleversement dans les comportements des consommateurs mais agit plutôt comme un révélateur. On a par exemple assisté à un renforcement de la suspicion vis-à-vis des institutions, qui touchent aujourd’hui les “grands médecins” et les chercheurs ». Économiquement, la pénurie de masques au début de la pandémie a souligné à quel point la France était désormais dépendante de l’industrie en provenance de l’étranger. Dans un tel contexte, les Français se sont tournés vers le local, la proximité.
Une perception qui a évolué
Le made in France se trouve donc à la croisée de ces ressentis : une valeur refuge alors qu’une partie des Français se trouve dans une période d’angoisse. Mais s’agit-il d’un effet de mode ? « C’est une tendance qui se mesure depuis plusieurs années. Ce qu’il est intéressant de souligner est la façon dont la perception même du made in France a évolué ». La référence au drapeau tricolore en est un des symboles : longtemps considéré, soit comme un réflexe nationaliste, soit comme quelque chose de ringard, le bleu blanc rouge s’est peu à peu imposé comme garant d’un savoir-faire reconnu et la défense de l’économie (et surtout des emplois). « Jusqu’à récemment, le réflexe était de se dire : en quoi ce serait mieux parce que c’est français ? Une vision bien lointaine de celle qu’ont les Américains. C’est particulièrement notable dans “la pop culture” : face à Captain America, nous avions “Super Dupont” de Gotlib ou dans les années 2000 “François le Français” d’Omar et Fred, des représentations parodiques d’une France repliée sur elle-même et un peu archaïque. A l’inverse, quand, en 2014, un Parisien de 25 ans sur Canal +, se lance le défi de consommer pendant 1 an, 100 % français, on peut se dire qu’il s’est passé quelque chose ». Le tournant a vraiment eu lieu il y a 10 ou 15 ans lorsqu’une image plus « sexy » du made in France est proposée par de plus en plus de marques, qu’ils s’agisse des marinières ArmorLux, valorisant un savoir-faire très ancien et de marques récentes et “conniventes” comme le Slip Français.
Des représentations plus concrètes
« Les Français sont profondément divisés sur de nombreux sujets structurants et de société (Europe, services publics…), mais se rejoignent sur un territoire patrimonial dont ils sont fiers (fromage, vin, savoir-faire, monuments, art) ». Si ces valeurs dans lesquelles tous se retrouvent ont longtemps été liées à un aspect « terroir », avec un côté “muséal” ou un stamp “made in France” un peu magique et désincarné, les représentations associées sont devenues plus concrètes, elles ont l’odeur de l’usine et c’est l’industrie française qui valorise son savoir-faire. « D’ailleurs, pendant la crise du Covid-19 on a pu lire de nombreux articles enquêtant sur le “made in France”, ce qu’il y a derrière, pointant souvent les limites d’un “made in France“ dont les matières premières viennent de l’autre bout du monde… A l’instar de ce qui se passe pour le “bio” depuis 3 ans, on se dirige sans doute vers la création de nouveaux labels, dont certains auront pour but de séparer le “vrai made in France” du “faux” ou, disons du “moins vrai” ».
En communication, le “made in France” ne doit pas être une ficelle qu’on tire
« Aujourd’hui, il ne suffit pas de dire “je fabrique en France” pour s’attirer des louanges. Les publics sont en attente de précisions, de faits, d’images, d’engagements. Et surtout, on leur a “fait le coup” souvent ! Se diriger dans les rayons d’un supermarché, c’est se balader au milieu des cocardes ». Pour que la communication porte ses fruits, le “made in France” doit toujours s’inscrire dans une démarche globale. « Quels sont les tenants et les aboutissants ? Des décennies d’histoire ? Une excellence dans l’exécution, dans l’outil industriel ? Une invention, un brevet ? Une responsabilité environnementale ou sociale, ou un soutien au maillage local ? » L’entreprise Charles & Alice, par exemple, dispose d’une charte de 9 engagements avec 3 grandes thématiques (Défendre, Promouvoir, Accompagner) autour de leurs produits, de leurs employés et de l’environnement… La création d’une campagne « Made in Pomme » (mettant en avant l’approvisionnement de leurs pommes 100% France) a permis de raconter l’ensemble de l’histoire : les lieux de production, l’approvisionnement local, les produits sans sucres ajoutés, leurs efforts pour l’environnement, leurs accompagnements auprès des arboriculteurs, et leur démarche Qualité de Vie au Travail pour leurs collaborateurs… La marque est légitime car elle est implantée au plus près du territoire et surtout parce qu’elle est cohérente, c’est bien plus qu’un “stamp” ».
De la même façon, la marque Biovive (qui s’inspire de la gemmothérapie, la science des bourgeons) cultive une beauté Made in France, bien ancrée dans son terroir. Car au delà d’une fabrication 100% française, les ingrédients actifs sont tous origine France et issus de l’agriculture bio locale. Les produits bio, certifiés vegan et COSMOS Organic sont formulés à base de 99% à 100% d’ingrédients naturels, tout en accordant aussi une grande importance à l’éco-conception des packs. « Et la marque a voulu aller encore plus loin en soutenant l’agriculture locale française via le concours Agriculteurs d’Avenir qui finance des projets d’agro écologie ».
Un autre de nos clients exprime très bien, dans une démarche globale, les aspirations de notre époque. Un acteur non seulement implanté en France, dans les Alpes de Haute Provence, mais également citoyen, récent, d’une taille assez modeste, qui va à l’essentiel. Il s’agit d’Eon motors, un nouveau « constructeur automobile” (même si le véhicule électrique qu’il conçoit ne ressemble à aucun autre). « L’entreprise est née avec une idée simple et surprenante : “réinventer la roue”. Les quatre moteurs sont dans les roues ! Ce qui libère de l’espace, rend le véhicule plus léger, plus maniable et permet de consacrer l’énergie embarquée aux déplacements (plutôt qu’à tracter le poids du véhicule) et donc, à réduire son empreinte carbone ». Après des années de recherches, le véhicule “Weez” s’apprête à sortir. « C’est plus qu’un véhicule, c’est d’abord une démarche d’invention, un lieu d’implantation en Région Sud, et au final une nouvelle façon d’avancer« .
Rendre tangible le savoir-faire
Pour mettre en avant leur expertise en matière de fabrication de verres d’optique, Essilor organise des visites de ses sites de production à destination des relais d’opinion (journalistes, influenceurs, blogueurs). Une façon pour ces derniers d’être au plus près de la production made in France. De plus, le fabricant insiste sur son label Origine France Garantie (OFG), délivré par un organisme indépendant, le Bureau Veritas, et qui garantit que le produit répond à des caractéristiques essentielles (ensemble des étapes de transformation réalisées sur le territoire français etc.). « Pour Essilor, le principal défi est sans doute de rendre tangible le savoir-faire, la technicité. C’est d’autant plus important qu’un verre est justement transparent, presque invisible. Tant qu’on n’a pas vu les différentes étapes derrière ces quelques centimètres carrés, on ne peut pas imaginer le travail, les calculs, la technologie. Un challenge réussi qui fait aujourd’hui d’Essilor un des fleurons de l’industrie hexagonale ».
Le “Made in France” n’est pas l’apanage d’un siège social, mais celui de lieux de production.
« Le Groupe H&H a aussi une démarche centrée autour du Made in France très intéressante. Son siège social est à Hong Kong mais l’entreprise est internationale, voire “globale”. Elle est présente sur de nombreux marchés à travers le monde et son top management, présent lui aussi sur différents continents, représente de multiples nationalités ». Et pourtant, son ADN est ancré en France. Cela s’explique notamment par l’origine de la marque avec laquelle le Groupe s’est créé, Biostime. En effet, cette marque commercialise en Chine 1999 du lait bio français haut de gamme, réputé pour sa qualité et produit à Isigny en Normandie. Aujourd’hui, la marque est également distribuée en France. H&H possède aussi d’autres marques avec de fortes identités locales et plusieurs d’entre elles sont françaises. C’est le cas notamment de Dodie (acquise en 2016) et de Good Goût (acquise en 2018). « C’est un nouveau type d’entreprise, avec une structure internationale mais dont les marques sont justement très ancrées localement. H&H a bien compris que la localité et la singularité des marques étaient leurs meilleures forces : un gage d’excellence, d’authenticité… C’est ce que recherchent les consommateurs d’aujourd’hui, partout dans le monde : de la qualité et un ancrage local ».
A une époque où les entreprises sont dites de plus en plus dématérialisées, et après avoir perdu une bonne partie de son tissu industriel, l’ancrage local apparaît de plus que jamais essentiel. Loin de l’image rétrograde que pouvait avoir le Made in France, aujourd’hui c’est encore plus de précision que les consommateurs recherchent : non plus seulement le pays, mais la région, le département, la ville ou le village. Quelles usines ? Quelle exploitation agricole ? Quels éleveurs ? Le “Made in France” est-il en train devenir une maille trop large ?