Thierry Libaert : « communiquer sur la RSE c’est aussi s’exposer à des crises plus importantes »
Conseiller au Comité Economique et Social Européen et expert de la communication de crise, Thierry Libaert a été en 2013 l’auteur du premier texte européen sur la lutte contre l’obsolescence programmée. Il travaille sur la RSE depuis près de 30 ans et a collaboré avec plusieurs ministères, des agences de communication et des grands groupes.
Vous avez écrit en 1992 le premier ouvrage francophone sur la communication environnementale, dans quel contexte ?
Les premières campagnes de communication sur l’environnement sont apparues dans l’espace francophone à la fin des années 1980. Elles sont déjà liées à un contexte de crise : en 1989, des producteurs de lessive se sont en effet livrés une bataille autour de la présence de phosphates dans leurs produits. L’allemand Henkel s’oppose au chimiste français Rhône-Poulenc, dénonçant les phosphates contenus dans les lessives de ce dernier qui affecteraient la qualité de l’eau. Ce conflit impacte à la fois la communication corporate et le marketing. D’une part, la communication institutionnelle qui intègre l’environnement comme enjeu de réputation de l’entreprise. D’autre part, le marketing qui conçoit des offres éco-responsables. Dans les années 90, les premiers acteurs à se lancer en France sont le groupe Henkel avec la marque « Le chat machine » et Reckitt Benckiser avec « Maison verte ». Le succès de ces 2 gammes a fait de l’environnement un argument commercial majeur.
Une bonne RSE peut-elle se passer de communication ?
La communication est au cœur de la Responsabilité Sociétale d’Entreprise car elle permet d’engager le dialogue et de nouer des relations avec les parties prenantes. S’il est nécessaire de communiquer envers elles, le discours ne doit pas prendre le pas sur les actes. Le greenwashing a connu son apogée dans les années 2006 – 2007 mais il est désormais stable selon le bilan annuel l’ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité) et l’ADEME. Aujourd’hui, le manquement le plus courant est la différence entre des arguments « responsables » et la réalité des impacts. Les démarches ont progressé et le terme « écologique » qui a longtemps été galvaudé est désormais sérieusement encadré !
Pourquoi les crises les plus importantes portent-elles sur des aspects environnementaux et sociaux ?
Une étude publiée en 1999 par CSA-TMO établissait une typologie des crises en fonction de leur intensité et de leur mémorisation. Les crises perçues comme étant les plus importantes étaient celles relevant de l’environnement et de la santé, puis celles concernant l’alimentation. Cela a été confirmé dans la pratique. Ces crises marquent les esprits pour deux raisons principales. Tout d’abord leur aspect visuel se prête mieux à la médiatisation : prenons l’exemple d’une marée noire, alors qu’une crise financière est beaucoup moins visuelle. La deuxième raison relève de l’identification : une crise environnementale ou alimentaire peut menacer notre intégrité physique et aura donc plus d’impact puisqu’elle nous concerne directement.
Les entreprises engagées dans l’environnement sont-elles plus exposées en cas de crise ?
Une communication forte sur le développement durable ne met pas l’entreprise à l’abri du risque de crise. Elle peut, bien au contraire, l’aggraver ! Une étude menée à l’Université catholique de Louvain et publié en 2006 (V Swaën, J Vanhamme) démontrait que les entreprises qui avaient fait de l’environnement un axe fort de leur communication apparaissaient beaucoup moins crédibles en période de crise. Les gens disaient avoir le sentiment d’avoir été trompés, ce qui engendrait une déception plus grande.
Cela ne veut évidemment pas dire qu’il ne faut pas communiquer sur le développement durable, mais qu’il faut bien positionner le curseur par rapport au reste des activités des entreprises. D’autant plus que nous sommes dans une période de défiance très forte envers les organisations, surtout industrielles.
Est-il aujourd’hui plus difficile de développer des projets industriels comme par exemple des usines ou des centrales électriques ?
En effet, plusieurs facteurs y contribuent : une défiance croissante des citoyens, la professionnalisation des ONG en matière de communication, l’utilisation de recours juridiques pour retarder les projets, et enfin une sensibilité accrue de la société civile à l’environnement. Il est nécessaire de construire, le plus en amont du projet, une communication d’acceptabilité qui associe toutes les parties prenantes. Toutes les crises comportent désormais un volet juridique qui les fait durer dans le temps.
Quels sont les points de vigilance pour communiquer sur la RSE ?
Les communicants peuvent notamment s’appuyer sur les 15 engagements d’une communication responsable de l’Union des Marques, regroupés en 5 thématiques :
– l’élaboration responsable de messages ;
– l’éco-socio-conception des supports de communication ;
– la diffusion maîtrisée des communications et une collecte réfléchie des données ;
– la prise en compte de l’ensemble des publics, via notamment des sous-titrages ;
– une relation juste et responsable avec ses partenaires à travers des critères environnementaux et sociaux.
Sur tous ces engagements, les annonceurs doivent effectuer un reporting annuel pour apporter les preuves de leurs actions.
Une bonne communication RSE doit vérifier la véracité des informations communiquées, ne pas s’attribuer des pratiques mises en œuvre par l’ensemble des entreprises du secteur, mais aussi rester humble. Dans le grand mouvement de la transition écologique, la publicité commence à être interpellée car elle peut inciter à la sur-consommation. Ce n’est plus un enjeu de communication responsable mais de responsabilité de la communication !
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