Depuis quelques mois, deux camps s’opposent au sujet de la nouvelle directive sur les droits d’auteur dans le marché numérique. Les créateurs et producteurs de contenus (auteurs, artistes, maisons de disque, maisons de presse… les ayants droit au sens large) et les GAFAM, qui prônent la défense de la liberté d’expression. Ces derniers estiment, en substance, que de nombreux contenus protégés par un droit d’auteur sont publiés dans un but moral, légal et légitime. Le droit à la critique, le droit à la parodie ou le droit à l’information (par le biais de média modernes tels que Brut) sont des fondamentaux de la liberté d’expression. A leurs yeux, ces acquis pourraient être fragilisés par cette nouvelle directive.
Mais pour quelle raison cette directive est-elle née ? Blandine Poidevin, avocate associée du Cabinet JURSIEXPERT, nous l’explique : « Les textes de lois sur les droits d’auteurs ont été établis au début des années 2000. Mais depuis, la situation sur Internet a évolué, avec de plus en plus de plateformes de rediffusion (vidéos, musiques, articles…). A présent, nous sommes au paroxysme de cette économie d’intermédiation dans laquelle la quasi-totalité des échanges est détenue par une petite dizaine d’acteurs. Ce n’est pas un problème en soi, sauf que ces derniers ne participent pas à la chaîne de valeurs ».
En effet, lorsqu’ils rediffusent une vidéo ou un article, les GAFAM participent peu (financièrement) au contenu originel. C’est la genèse même de cette directive, qui souhaite faire évoluer la législation vers une meilleure reconnaissance et rémunération des auteurs, ceci bien sûr sans porter atteinte à la liberté d’expression.
L’ARTICLE 13 : DIFFUSER, C’EST PARTICIPER
« Si l’idée initiale était de bloquer tout contenu enfreignant les droits d’auteurs, la version de cet article votée en septembre s’inscrit dans un objectif de coopération entre les plateformes et les ayants droit », nous apprend notre spécialiste des Technologies de l’Information et de la Communication. L’article 13 instaure une responsabilité des plateformes en matière de rémunération des créateurs, par exemple entre un artiste et YouTube.
Plus concrètement, le principe des « accords de licence » entre auteurs et diffuseurs existe déjà, mais la commission souhaite systématiser cette pratique pour les plateformes et les réseaux sociaux. « Ces sites, qui se positionnent comme « hébergeurs », négocieront au préalable avec les auteurs pour que leurs utilisateurs puissent publier ou partager librement les contenus protégés ».
Sans accord, ces diffuseurs devront mettre en place un système de filtrage automatisé permettant de détecter les contenus soumis aux droits d’auteur et d’empêcher leur publication. Au nom de la liberté d’expression, la directive incite les plateformes à mettre en place en parallèle un mécanisme de recours en ligne géré par des humains, pour permettre l’appréciation au cas par cas.
LE NOUVEAU VOISIN DES PLATEFORMES : L’ARTICLE 11
Le droit voisin, c’est un complément au droit d’auteur dédié aux organes de presse. Il s’agit, selon l’avocate, « d’améliorer le système en faisant en sorte que la presse et les éditeurs de presse, tels que les journaux, les magazines, les agences de presse, puissent recevoir une partie des recettes publicitaires liées à la publication de ces articles. »
Les hyperliens accompagnés de mots isolés ne sont pas visés, ni même les descriptions d’articles mais il faut éviter les indexations contraires aux droits d’auteur : « L’objectif est de lutter contre la reprise de paragraphes entiers et notamment du premier paragraphe, du titre et de l’image accompagnant le texte, éléments considérés comme la substance de l’article en question. »
Cet article cherche à rééquilibrer le rapport des organes de presse face aux ambitions des grosses plateformes. Encore une fois, la priorité pour la Commission est la coopération. Par exemple, Twitter pourrait négocier et rémunérer Le Monde, Libération ou Le Figaro pour ne pas être en situation « d’illégalité » face aux millions d’internautes qui partageront par la suite tel ou tel article.
ET MAINTENANT ?
Si cette directive n’est pas définitive (version du conseil de l’Union Européenne, traduction en fonction du pays…), elle est, vous l’aurez compris, le fruit de nombreuses crispations et le sujet semble loin d’être terminé. Aujourd’hui, alors que Google envisagerait de fermer Google News (et tire la leçon de sa mauvaise expérience en Espagne en 2014), YouTube a déjà récolté près de 2 millions de signatures contre l’article 13, tandis que la fondation Wikimedia (Wikipédia) dénonce une directive destructive pour son modèle, qui s’appuie sur la contribution des internautes via des sources et informations externes.
Ces plateformes et d’autres encore à l’image de Daylimotion, ne sont pas les seules à émettre des doutes. Joe McNamee, le directeur exécutif de l’European Digital Rights ou encore le rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection de la liberté d’opinion et d’expression, David Kaye, surveillent de près l’évolution de cette directive. « Au-delà de ces revendications, légitimes ou non, certains ont complétement occulté le droit d’auteur, et cette directive permet de rappeler la législation. On peut espérer que cette nouvelle directive ait un effet vertueux. » conclut Blandine Poidevin.