Le Data Storytelling : un arbre de connaissance qui cache une forêt d’opportunités
La « data » n’en finit plus de susciter intérêt et enthousiasme au sein de l’industrie créative. On ne compte plus les démonstrations d’une association heureuse qui s’est faite sans perte ni fracas. Comme si données et mise en récit étaient des matières hétérogènes, distinctes l’une de l’autre. Comme si les deux, situées sur un même plan, étaient diamétralement opposées. A la manière d’autres lectures binaires (« cerveau gauche et cerveau droit », « le virtuel et le réel », « le bien et le mal »), il y a quelque chose de bancal dans cette approche.
D’abord, données et storytelling se sont déjà rencontrés. Il y a bien longtemps. La récolte et le traitement des données n’ont rien de nouveau pour les études et le planning stratégique qui en ont fait l’une de leurs practices. Qu’elles soient qualitatives ou quantitatives, l’analyse de données a toujours été un préalable à la réflexion stratégique, qui se cristallise autour d’une ligne de force, de messages clés à porter et d’une histoire à déployer. En cela, les données se sont toujours invitées dans la production médiatique.
Ensuite, s’il y a lieu d’opposer la data à quelque chose, c’est avant tout à sa nouvelle réalité. Ce qui est inédit, c’est la production en masse de données numériques : sur le web et plus largement par les objets connectés. Ce que l’on appelle communément «Big Datas », c’est avant tout un ensemble immensément informe et varié, composé de 95 % de données dites « non structurées » et de 5 % de données dites « structurées ». Ce n’est que cette partie émergée de l’iceberg qui est exploitée et représentée de manière ordonnée pour rendre compte de réalités multiples.
De fait, le sujet du « Data Storytelling », portant sur la rencontre de deux substances, l’une informationnelle, l’autre imaginative, semble relever de la redite : « Connecting the dots », comme le disent les anglais, n’a rien de nouveau, et Roland Barthes, dans son « Introduction à une analyse structurale du récit », érigeait déjà l’histoire comme une des grandes catégories de la connaissance permettant de comprendre le monde. En somme, le mariage de la Data et de la Créa n’est pas un sujet, c’est plus simplement un pléonasme.
Ce qui en revanche mérite d’être approché et étudié de plus près, c’est l’agencement spectaculaire de ce gisement informationnel qu’est le Big Datas au moyen d’innovations et de puissantes applications techniques. Ce sont ces outils qui bousculent les métiers dont ceux de l’industrie créative. Ils déplacent littéralement les aires d’expertises de la communication en les débarrassant des tâches répétitives et sans valeur ajoutée. Ils invitent à se consacrer aux tâches à forte intensité cognitive et créative. Du coup, les objectifs, la stratégie et les messages sont plus que jamais le cœur de métier des experts en communication. Mais gare à la médiocrité ou aux missions routinières qui seront aisément robotisables.
Un ouvrage du Collège de France accessible en ligne* est à ce propos incroyablement éclairant. Un passage dans l’introduction, illustre à quel point en matière de Data Storytelling, ce n’est pas le « quoi » mais le « comment » dans lequel il convient de s’aventurer : « Les outils d’exploration de ces données bousculent non seulement l’analyse des comportements, mais encore les techniques d’influence et d’incitation. La détection à grande échelle de corrélations, la recherche automatisée de patterns, les algorithmes d’analyse sémantiques prennent le pas sur les patients travaux d’enquête par échantillonnage et rivalisent avec l’expérimentation contrôlée. Profiler pour prédire les tendances et les usages, pour persuader les usagers et les consommateurs, et, ce faisant pour obtenir que les anticipations issues des profilages se vérifient, voilà qui introduit de multiples boucles dans l’interaction avec les systèmes, boucles qui conduisent à ce dont le marketing a toujours rêvé : inventer une technologie silencieuse de la prophétie ou de la persuasion auto-réalisatrice, qui se substitue au bruit de la persuasion publicitaire traditionnelle.
Le ton est donné.