Nous ne sommes pas victimes, mais actrices de l’Histoire !
Elle se bat pour la cause féministe depuis près de 40 ans. Nous sommes aujourd’hui fiers de lui donner la parole. « Dictionnaire intime des femmes », c’est le nom de son dernier ouvrage paru aux éditions Stock. Laure Adler, journaliste et essayiste est également tous les soirs de la semaine à 20h sur France Inter avec L’heure bleue. Elle réagit évidemment à l’actualité et son point de vue touche. Rencontre.
Votre ouvrage également met en avant des hommes. Ils sont de plus en plus nombreux à être ou s’affirmer féministes. Vous vous en réjouissez ?
« Oui beaucoup. La défense des droits des femmes passe aussi par un compagnonnage avec des hommes. Dans l’histoire du féminisme beaucoup d’hommes nous ont permis d’avancer. »
L’affaire Weinstein ou Tariq Ramadan… l’actualité fait état d’un déferlement d’accusations. Prise de conscience ?
« Je pense qu’il se passe une véritable révolution, une révolution de civilisation, quelque chose de très important. Les femmes souffrent en silence depuis des siècles et des siècles et la parole des violences qu’elles subissent n’a jamais été entendue. Ça commence à l’être un peu. Mais il ne faut pas qu’un événement en chasse un autre. Il ne faut pas que cette révolution d’une grande portée politique s’évanouisse avec le flux de l’actualité. Il faut aller au-delà et surfer sur cette très grande révolution. Le gouvernement français actuel doit en saisir véritablement l’ampleur et permettre par un arsenal juridique de faire en sorte que notre justice française ne soit pas aussi économe, inégalitaire mais aussi inaudible dans son fonctionnement par rapport à la violence que subissent les femmes. »
Est-ce que les réseaux sociaux peuvent être un outil au service de la cause féministe ? Qu’en pensez-vous ? Utilisez-vous les réseaux sociaux ?
« Oui les réseaux sociaux sont un outil qui permet à des femmes individuellement de dire des choses qu’elles ont enfermées dans le secret de leur cœur et de leur corps depuis quelque fois très longtemps. Des choses qui les ont oppressées et empêchées de vivre. Ça, c’est vraiment grâce aux réseaux sociaux.
Maintenant je pense que les réseaux sociaux ne sont pas tout, ils ne peuvent en aucun cas se substituer à la justice. Ils sont une étape. Nous sommes dans un état de droit, les femmes sont les égales des hommes. Elles disposent de droits qui sont violés en permanence. A la justice et à l’état de droit dans lequel nous sommes, de prendre en compte ce qu’il se passe. Les révolutions ont toujours commencé par des élans de solidarité et par du collectif, particulièrement les révolutions de femmes dans l’histoire du féminisme. Il faudrait que le gouvernement le réalise vraiment, et qu’il agisse au plus vite.»
Etes-vous confiante ?
« Non, pas pour le moment. C’est un problème éminemment politique. Politique au sens le plus haut du terme : La vie de la Cité. C’est vraiment au Ministère de la Justice de commencer à élaborer des propositions en relation avec ce que l’on aimerait avoir c’est-à-dire un Ministère plein et entier du droit des femmes. Françoise Giroux l’avait inauguré. Macron dit de lui-même qu’il n’est ni de Droite ni de Gauche. J’observe quand même que Giscard d’Estaing était un homme qui s’assumait de Droite et qu’il a créé le premier Secrétariat d’Etat qui ensuite est devenu un Ministère. Tous les Gouvernements de Gauche ont continué sauf Hollande hélas, qui en a fait de nouveau un Secrétariat d’Etat. On sait très bien ce que ça veut dire Secrétariat d’état. Ça veut dire la main mise d’un Ministère, moins de budget, moins de moyens, ne pas être à la table du Conseil des Ministres.
Est-ce qu’on a vu que ce sujet était au Conseil des Ministres ? Il se passe une révolution mais on parle d’autre chose et ce n’est pas à l’agenda du Conseil des Ministres ? Sommes-nous tombés sur la tête ? »
Que peut-on faire ?
« Alerter le gouvernement, faire pression, demander que des actes concrets soit envisagés dans un agenda précis, avec des moyens particuliers. Parce qu’on sait bien que la justice est complètement engorgée, on sait bien que dans les commissariats des formations doivent être mises en place extrêmement vite. Pour cela il faut de l’argent il faut des éducatrices et des éducateurs. Il faut accompagner cette révolution très importante, par une révolution non moins importante de l’éducation. Pas seulement dans les commissariats de police mais également dans les Cours de Justice.
La vision de la petite fille puis ensuite de la jeune fille puis ensuite de la femme doit être modifiée en amont y compris dans les manuels scolaires de la rentrée prochaine.
Pourquoi y a-t ’il des pays où ces choses-là sont répréhensibles et où les hommes ne s’autorisent pas ce genre de déviations parce qu’ils savent qu’ils vont être punis ? C’est le cas dans beaucoup de pays d’Europe du Nord et des Etats Unis. Je peux vous dire qu’on n’a pas intérêt à faire le quart du dixième aux Etats-Unis de ce qu’il se passe actuellement en France.
On est passé du « moi je », « je vais essayer de me défendre », « je vais essayer d’oublier », « je vais essayer de ne pas être offensée », « je vais essayer de ne pas être détruite parce que s’il m’est arrivé ça ça veut dire que j’y suis peut-être pour quelque chose » (parce que c’est toujours de notre faute) à « nous les femmes », au collectif qui doit maintenant exiger des actes concrets.
Vous êtes révoltée ?
« Je suis très impressionnée par ce qu’il se passe, très admirative. Je me bats depuis 40 ans pour que l’histoire des femmes soit reconnue et pour que justement on puisse connaître toutes ces femmes remarquables qui nous ont précédées dans notre histoire, connaître leur destin leur courage leur détermination y compris dans les manuels d’Histoire. Pour qu’elles nous donnent de la force, de l’énergie et de la croyance en nous-mêmes. Je pense que ce qu’il se passe en ce moment participe de ce même mouvement de la revendication du courage et de la puissance des femmes. Maintenant il faut nous faire entendre ! Nous ne sommes pas victimes, mais actrices de l’Histoire ! »