Une présence néfaste
Ses conséquences coûtent 14 milliards d’euros par an aux entreprises françaises. De quoi s’agit-il ? De la cybercriminalité ? C’est non. Du mal de dos ? Pas plus. La première coûte « seulement » 3,36 milliards d’euros, le deuxième 1 milliard. Vous donnez votre langue au chat ? Le vrai coupable : le présentéisme. Rencontre avec Matthieu Poirot, fondateur et dirigeant de Midori Consulting, qui lutte au quotidien contre ce fléau professionnel.
par Ségolène Mathis, agence analogue
Illustration @iStock
Quels sont les différents aspects du présentéisme ?
Il en existe deux manifestations : la première, celle où les salariés restent tard sur leur lieu de travail, pour faire acte de présence ou pour montrer leur engagement. L’autre concerne les salariés malades qui viennent, malgré leur état, travailler. Dans les deux cas, cela nuit à l’entreprise. Un collaborateur malade est contagieux : il risque de propager son virus autour de lui et donc d’affecter l’efficacité de son équipe. Il est aussi moins productif : difficile de se concentrer avec 40° de fièvre !
Pourquoi le présentéisme est-il mauvais pour l’entreprise ?
Il est corrélé de façon très perverse à l’efficacité. Dans nos pays latins, nous pensons que plus on fait d’heures, plus cela veut dire qu’on travaille et donc qu’on produit. Alors que tout prouve le contraire ! Les Grecs travaillent en moyenne 64 heures par semaine, contre une trentaine en Amérique du Nord. Comparez leurs économies : tout est dit. J’ai récemment fait le bilan dans une entreprise que j’ai accompagnée : au bout de trois, le présentéisme a été divisé par deux. En revanche, le chiffre d’affaires est passé d’une dizaine de millions d’euros à 40 millions. Il faut arrêter de croire que la présence engendre la rentabilité.
Le présentéisme serait alors en réalité contre-productif ?
En un sens, oui. Il cache souvent des problèmes d’organisation, de procrastination (certains aiment travailler dans l’urgence) ou de mauvaise gestion du temps. Un salarié peut faire ses heures mais mal travailler. Ce qui compte, c’est de se ménager suffisamment de temps de récupération : c’est la clé de l’efficacité. Les artistes les plus productifs étaient souvent ceux qui travaillaient le moins. Victor Hugo écrivait de 18h à 22h. Kant de 6h à 7h du matin. Beethoven de 7h du matin à 14h. Et ce qui ressort surtout, c’est que tous prenaient le temps de faire autre chose, de récupérer : se promener, faire de l’exercice, avoir un loisir. Ils libéraient ainsi leur cerveau des contraintes pour mieux les gérer ensuite.
Pourquoi avons-nous alors tant de mal à changer ?
Le problème est que nous sommes restés dans la logique industrielle du XIXème siècle : effectivement, à l’époque, plus on travaillait, plus on produisait, car l’économie était basée sur des rendements physiques. Mais aujourd’hui, dans notre société de services, cela ne peut plus avoir cours. La majeure partie des salariés fournissent des prestations intellectuelles. Or, l’homme a une capacité de concentration profonde de 4 heures par jour. Passé ce temps, nous sommes moins efficaces. Et à partir de 10 heures de travail journalier, nous mettons notre santé en danger. Il suffit de regarder l’augmentation exponentielle des cas de burn-out…
Y a-t-il des solutions ?
Bien sûr ! Cela passe par la formation des managers, la mise à disposition d’outils de gestion des tâches et du temps, et à la valorisation de l’efficacité (qui est loin d’être acquise : essayez de partir à 16h du bureau… Fleuriront alors les « Tu as pris ta journée ? » ou autres « Tu avais encore des RTT ? »). Mais la réglementation commence à aller dans un sens positif : le droit à la déconnexion est désormais acquis, et de nombreuses entreprises essaient d’instaurer un équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée. Le télétravail est également un outil formidable. Mais quelle frilosité pour le mettre en place ! Car nombre de managers s’imaginent que le salarié va passer sa journée à faire tout autre chose que de travailler. Il faut faire confiance ! Laisser chacun prendre ses responsabilités est d’ailleurs très révélateur de l’efficacité. Je reste optimiste, même si c’est un « mal du siècle » qui mettra sans doute un peu de temps à disparaître des habitudes et des mentalités.
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