A l’occasion de la publication du dernier rapport Mondial Human Rights Watch, qui résume les principales préoccupations et avancées sur les droits humains dans le monde, Bénédicte Jeannerod, qui dirige le bureau de Paris de HRW nous apporte son éclairage sur la préoccupante montée du populisme en Europe et dans le monde. Pourquoi une telle apogée, quelle menace pour les droits humains et surtout que faire ? Ce sont les questions que l’on a posées à Bénédicte Jeannerod.
Les discours populistes ont le vent en poupe. Comment expliquez-vous cette montée en puissance des politiques de l’intolérance ?
« Le mécontentement grandissant d’une partie de la population se sentant laissée-pour-compte de la mondialisation et des mutations technologiques et frappée de plein fouet par les fortes inégalités sociales fournit un terreau idéal aux populistes et démagogues. L’attrait qu’ils suscitent est encore renforcé par les attaques terroristes qui ajoutent le sentiment d’insécurité physique à l’insécurité sociale. La population a perdu confiance dans la classe politique « traditionnelle » qu’elle estime incapable de résoudre ses problèmes. Plutôt que de s’attaquer au fond des problèmes pour lutter efficacement contre les disparités et l’exclusion sociale et limiter les effets de la crise économique sur les plus vulnérables, les démagogues se nourrissent de cette insatisfaction et l’amplifient. Aux Etats-Unis comme en Europe, les démagogues désignent les migrants comme responsables du chômage et de la menace terroriste, et pourfendent la diversité ethnique et religieuse qui compose aujourd’hui nos sociétés. Au nom du « peuple », ils développent une rhétorique de la peur, de la haine et du rejet, faisant passer les principes fondamentaux de l’Etat de droit et des droits humains comme des obstacles face à la défense de la nation contre ce qui est perçu comme une menace. Les droits universels, mais aussi la Constitution ou encore l’indépendance de la justice, ne sont plus considérés comme des garanties de protection essentielles pour tout un chacun, mais comme des entraves inutiles dont il faut se débarrasser. »
Human Rights Watch vient de publier World Report 2017, un rapport sur l’état des droits humains dans 90 pays de la planète. La nouveauté cette année c’est que vous ne vous êtes pas arrêtés aux pays les moins développés. Les Etats-Unis sont pointés du doigt. Quels sont les principaux enseignements de ce rapport ?
« Notre rapport mondial analyse cette offensive sans précédent contre les droits humains dans le monde. Car parallèlement à l’élection de Donald Trump, au Brexit -qui s’est aussi nourri du rejet et de la xénophobie- et à la montée du populisme en France et ailleurs, des dirigeants incarnant l’image de « l’homme fort » en Russie, en Turquie, en Chine ou encore aux Philippines imposent leur autoritarisme comme garantie de prospérité et de sécurité, en lieu et place de l’Etat de droit. Ils écrasent leur société civile, font taire toute opposition et mettent la justice au pas. La convergence de ces tendances, qui s’appuient aussi sur une propagande forcenée et s’affranchissant de la vérité des faits, est extrêmement inquiétante. »
Mais alors que faire ?
« Cet assaut d’ampleur mondial nécessite une réponse la hauteur. Les populistes prospèrent en l’absence d’opposition. Les responsables politiques qui se réclament de la démocratie et des principes fondamentaux doivent plus que jamais réaffirmer leur attachement à ces valeurs. Mais c’est surtout de la société civile que la mobilisation doit venir : une réaction populaire forte contre le mensonge et la démagogie, reposant sur les organisations de la société civile, les partis politiques, les médias traditionnels et sociaux, est le meilleur antidote possible. La mobilisation de toutes et tous est plus que jamais nécessaire. »