Thierry Watelet : « Communiquer comme il y a 2000 ans ! »
Thierry Watelet a passé deux décennies à RTL dont dix ans à la rédaction en chef, avant de rejoindre le groupe France Télévisions en 2000. Il a pris la direction des chaînes Martinique et Mayotte, puis est devenu rédacteur en chef à l’Agence, une entité regroupant une centaine de journalistes chargés de produire des reportages pour plusieurs chaînes du Groupe. Il conserve un tropisme pour la France d’outre-mer à travers France Ô dont l’Agence assure également la gestion. Cet ancien étudiant en droit, habitué des concours d’éloquence, est passionné de textes anciens, de Cicéron à Bossuet. Il met régulièrement son expertise au service des leaders et des managers.
Alors même que le journalisme doit se réinventer à l’heure d’Internet, pourquoi plaidez-vous pour le retour à des préceptes de communication vieux de 2000 ans ?
Thierry Watelet : Il est vrai que notre métier est bouleversé. Je le constate depuis une dizaine d’années, avec dans mon activité quotidienne la nécessité de réaliser toutes les synergies possibles entre les chaînes. Dans un terme assez court, la séparation de nos sujets entre Internet, télévision et radio devrait s’effacer. Néanmoins, les règles journalistiques, elles, n’ont que peu évolué depuis des millénaires. Par exemple on vous apprend en école de journalisme la structure pyramidale inversée, typique des dépêches d’agence. Il s’agit de commencer par l’essentiel, avant d’élaborer sur les détails. C’est précisément ce qu’avait conceptualisé Quintilien, un avocat romain du Ier siècle après Jésus-Christ dans son ouvrage, De l’Institution oratoire. Il s’était retrouvé à plusieurs reprises à devoir plaider devant un juge qui ne connaissait rien au dossier et s’était dit qu’il fallait répondre à cinq grandes questions : « Qui ? Quoi ? Quand ? Pourquoi ? Comment ? ». C’est l’hexamètre de Quintilien, aujourd’hui enseigné dans toutes les écoles de communication. Il s’applique tous les jours, jusqu’à l’écriture de mails. Les journalistes doivent être des « orateurs simples », comme le disait un autre grand Ancien, Cicéron.
En communication, la simplicité est-elle donc la vertu principale ?
Thierry Watelet : Cela dépend des cas de figure. Les systèmes simples sont basés sur la règle suivante : la phrase principale ne doit comporter qu’une idée. Très concrètement, cela signifie utiliser des phrases courtes, composées d’un sujet, d’un verbe, d’un complément. Les effets d’une telle communication sont d’une efficacité redoutable et immédiate. Je le vois quand les chefs d’entreprise, souvent assez démunis, commencent à appliquer ce précepte. Cicéron disait aussi dans son traité de rhétorique De Oratore une vérité que l’on oublie trop souvent. Avant d’écrire ou de parler, posez-vous la question de savoir ce que vous voulez que l’autre retienne et dites-le en une phrase. Grâce à ce système simple, celui qui parle, l’orateur, pense à la place de celui qui écoute. Et ce dernier a l’impression d’être intelligent. Mais il existe bien sûr d’autres structures d’éloquence. Il suffit de regarder les hommes politiques ! Michel Rocard est adepte de la phrase longue, avec multiples incises. Jean-Luc Mélenchon, Jean-Marie Le Pen, Arnaud Montebourg, utilisent des registres plus émotionnels ou grandiloquents, manient parfois l’amalgame ou l’hyperbole, qui permettent d’enfermer l’auditoire dans un mode de pensée. Obama, lui, est coutumier des ouvertures à la française, typiques de Bossuet. Steve Jobs avait une structure de propos identique à Lamartine. Bref, quand on regarde, tout a déjà été inventé en matière d’art de la communication !
Que répondez-vous alors à ceux qui disent qu’en politique, par exemple, la communication s’est appauvrie ?
Thierry Watelet : Je considère que le problème n’est pas la carence de rhétorique. Nos hommes politiques et nos journalistes souffrent d’une insincérité profonde. La partie orale de leurs interventions peut bien être magnifique; elle n’a souvent rien à voir avec la réalité. Le storytelling devient alors très dévoyé. Pourtant, cette technique permet de donner de la motivation au futur, en raison d’expériences profondes partagées et vécues ensemble. De ce point de vue, la communication dans l’univers pragmatique de l’entreprise s’avère souvent plus authentique que dans l’univers médiatico-politique.