Journaliste, romancier politique, chroniqueur, ancien patron du Monde, essayiste… Eric Fottorino est souvent décrit comme un homme aux identités multiples. Il fonde en avril 2014 le 1, hebdomadaire singulier qui traite chaque semaine d’une grande question d’actualité à travers les regards d’écrivains, de chercheurs, de philosophes ou d’anthropologues, et aussi d’artistes, de poètes, d’illustrateurs et d’experts.
Une expérience média qui fête aujourd’hui ses 1 an.
On a voulu en savoir plus…
1/ Le 1, né il y a tout juste un an, était présenté comme une nouvelle expérience média.
Aujourd’hui diriez-vous que l’expérience est réussie ?
« Le premier numéro date du 7 avril 2014 et on vient de boucler le 55ème numéro qui s’appelle « Ils sont fous ces Anglais » sur la Grande-Bretagne. Le simple fait que notre journal, qui s’est lancé dans un format aussi particulier et sans publicité, existe encore un an après, constitue déjà une réussite. La fidélisation de lecteurs de toutes les générations marque vraiment d’après moi ce qui peut apparaître comme un signe de succès. Aujourd’hui on fidélise en moyenne 25 000 acheteurs (je parle d’acheteurs car on peut considérer qu’il y a même un peu plus de lecteurs) sans parler du taux de multiplication, et 7000 abonnés. Nos lecteurs sont aussi bien des jeunes de 15/17 ans, que leurs parents et leurs grands-parents. On a su se rendre, je ne sais pas si on peut dire « indispensables », mais en tous cas « nécessaires » pour des lecteurs qui ont une curiosité large. On traite d’un sujet particulier par semaine et ça change semaine après semaine, ce qui touche des tranches de populations très variées. Cela fait également preuve d’une certaine solidité du journal. »
2/ Avec ses 84 cm d’envergure, le 1 bouscule les codes de la presse traditionnelle. Son format fait du journal un objet à part et témoigne d’un travail de design. Quel sens avez-vous donné à ce choix et que souhaitez-vous communiquer à votre lectorat ? Quels sont les retours de lecture ?
« D’une part, comme vous le dites, un journal est un objet. Ce que l’on souhaitait c’était redonner une valeur au contenant pour également redonner une valeur au contenu. Autrement dit, un journal quand vous l’avez lu, vous le jetez. Un objet, quand vous l’avez entre les mains, vous le gardez. Ce qu’on voulait c’était que les lecteurs du 1 le lisent comme un journal et le gardent comme un objet. Nous y parvenons parce qu’on voit bien que les gens le collectionnent. On nous demande même des boîtes coffrets, on est en train d’y réfléchir. Souvent des lecteurs nous lisent un peu par hasard à l’occasion d’un sujet qui les intéresse et ces mêmes lecteurs vont ensuite sur notre site internet et commandent d’autres numéros pour commencer une collection. Le 1 ne prend pas de place, c’est-à-dire il prend de la place au sens des 84 centimètres mais c’est un objet de 45 grammes et qui n’est pas épais du tout. Facile à collectionner sans que cela prenne une place trop conséquente dans un bureau par exemple.
C’est donc le premier sens recherché, on voulait redonner de la valeur à un objet de presse. Le deuxième message consiste à dire que effectivement au moment où l’information est complètement miniaturisée, où on la lit sur smartphones, tablette… nous faisons une sorte de pied de nez consistant à dire que nous avons des idées qui prennent de la place, et pour qu’elles prennent de la place nous les étalons sur ce poster que forme le 1 déplié. Ce poster a un double objectif : d’abord il fait parler de lui : son format peut être critiqué bien que, avant même d’arriver au poster, on a déjà 30 minutes de lecture, ce qui est supérieur à la moyenne du temps passé en métro par exemple. Ensuite on peut reproduire dans une qualité parfaite des œuvres d’art, des lithographies ou des cartes de géopolitique, ce qui à chaque fois rencontre un grand succès car le fait d’avoir un grand format ça permet de voir les choses en grand tout simplement et le fait d’expliquer par exemple l’état islamique, les guerres ou le tiers monde sur un grand espace nous place hors de concurrence d’un écran. Ce que l’on fait sur un poster, un écran ne peut pas le faire. »
3/ Quelle est votre ligne éditoriale ? A-t-elle évolué depuis le début de l’aventure ? Si oui, comment ?
« Notre ligne éditoriale ? Ouvrir l’esprit du lecteur. C’est-à-dire confronter des regards différents : considérer que le regard d’un artiste d’un écrivain ou d’un poète vaut le regard d’un anthropologue, d’un économiste ou d’un historien. Par exemple, nous avons sorti un numéro récemment sur les Anglais, qui compile un texte de William Boyd (ndlr : romancier), un entretien avec Michael Edwards qui est le premier Anglais élu à l’Académie française et un texte de l’économiste Sophie Pedder qui dirige le magazine The Economist en France. Ces regards mélangés s’ajoutent à des anthropologues, sociologues et artistes qui réalisent une sorte de bande dessinée sur l’histoire de la Grande-Bretagne et ses liens avec la France.
L’idée est de mélanger les regards et inclure un regard sensible, celui de l’artiste, avec un regard savant, celui de l’expert. Au fond la ligne éditoriale c’est surtout de ne pas imposer notre opinion au lecteur. De lui donner une variété de regards pour que lui-même puisse se forger son opinion. Trop de média essaient, en contrebande ou de façon plus directe, d’imposer une manière de penser. Nous considérons que les lecteurs sont assez grands et suffisamment ouverts d’esprit pour accepter que la réalité est complexe et qu’elle a plusieurs visages. »
4/ Dans un monde hyper-connecté, quelle vision avez-vous des médias traditionnels ? Un secteur en perte de vitesse, mais visiblement pas pour tout le monde. Comment l’expliquez-vous ?
« Nous sommes un média qui s’est fait connaître par le papier mais nous avons depuis le 7 avril 2014 un site internet qui ne cesse d’évoluer. Nous ne sommes pas contre le numérique, même si on a développé une expérience papier singulière à côté du numérique. Pour répondre à votre question je pense qu’il ne faut pas confondre modèle économique et modèle éditorial. Le modèle économique des média est très attaqué puisque les deux piliers sur lesquels reposait la presse traditionnelle à savoir le lectorat payant et les annonceurs ont connu de grosses avaries. En revanche sur le plan éditorial, je pense qu’il y a encore beaucoup de choses à inventer. Dire qu’il y a crise du papier donc mort des journaux est une erreur. On s’est empêché de réfléchir. Ce n’est pas une crise du papier mais une crise des contenus. Média part, XXI ou le 1 par exemple, font partie de ces titres qui font l’effort de réinventer le contenu (avec 3 lignes éditoriales différentes). Les journaux ne sont pas voués à disparaître à condition qu’ils soient en mesure de remettre le lecteur au centre. »