Le temps est une dimension centrale de la société moderne. Quête ultime de chaque individu, et ce depuis que l’homme est homme, le temps est une notion universellement recherchée. En effet, ce rapport au temps est intrinsèquement lié à la condition mortelle de l’homme. Ephémère par nature, l’homme court après le temps qui passe généralement sans prendre conscience qu’il ne le rattrapera et surtout ne le possèdera jamais. Comme l’exposait Sénèque, il y a bientôt plus de 2000 ans, dans les phrases introductives de son traité consacré au temps, De la brièveté de la vie : « La plupart des mortels, Paulin, se plaignent de l’injuste rigueur de la nature, de ce que nous naissons pour une vie si courte, de ce que la mesure de temps qui nous est donnée fuit avec tant de vitesse, tarit de rapidité, qu’à l’exception d’un très− petit nombre, la vie délaisse le reste des hommes, au moment où ils s’apprêtaient à vivre ».
Ainsi, le rapport au temps et sa fameuse quête n’est donc pas nouvelle. Cependant, force est de constater que cette relation entre le temps et l’homme moderne s’est complexifiée, voire pervertie. En effet, le « tout, tout de suite » et le trop connu leitmotiv « je n’ai pas le temps » gouvernent aujourd’hui la société. Une réalité qui envahit tous les pans de la société, que ce soit les médias qui se livrent une course effrénée à l’immédiateté, privilégiant trop souvent le sensationnel à l’analyse, ou encore la consommation qui est dominée par la notion d’instantanée.
La réactivité est alors érigée en maitre, il faut réagir toujours plus vite. Or, cette spontanéité dominante interdit la réflexion nécessaire et empêche la prise de distance, toutes deux indispensables à toute prise de décision. Or pour s’épanouir, une idée, une stratégie ou encore une vision a besoin du temps long.
La créativité, elle aussi, nécessite du temps. Pour émerger, les concepts ont besoin de mûrir, rien de sensé ne naît de la pression. Pour le démontrer, Kreativ avait imaginé, en 2011, une expérience simple mais très explicite.
C’est donc en réaction à cette immédiateté que se développe depuis plusieurs années un phénomène qui n’est plus une tendance mais un véritable mouvement : le SLOW.
Un mouvement qui fédère de plus en plus et où il n’est pas exactement question de ralentir le temps mais davantage de (re)prendre le temps. Prendre le temps pour bien faire (Slow Made), pour déguster et savourer (Slow Food), pour découvrir en se reconnectant à la dimension locale (Slow Tourisme), pour recréer du lien entre l’argent et le réel (Slow Money), pour repenser sa garde-robe (Slow Wear), pour sauver les rapports amoureux (Slow Sex), pour vivre ensemble (Slow City), pour apprécier la culture (Slow Art) …
Ainsi, les Slowers, loin de rejeter la société ou de s’inscrire en marge, proposent d’entrer dans un autre rapport au temps. Véritable philosophie selon laquelle il est nécessaire de sortir du proverbe « le temps c’est de l’argent » et donc de s’extraire du rythme effréné des modes de vie actuels afin de ne pas épuiser ni l’homme, ni la planète. Rejoignant le débat de l’obsolescence d’indices purement économiques pour qualifier la puissance d’un pays, le mouvement SLOW impose la prise en compte du bien-être, de la santé, de la qualité environnementale.
Consécration, s’il en est besoin, pour ce mouvement, qui n’est définitivement plus une simple tendance mais bel et bien un nouvel état d’esprit : la sélection, par les Nations Unies en octobre dernier, de Carlo Petrini en tant que Champion de la Terre. Carlo Petrini n’est autre que le créateur de Slow Food en 1986.
Pour les Slowers la consommation ne se pense donc pas sans conscience citoyenne, le fait de consommer devenant même un acte citoyen, un engagement, une traduction de sa vision du monde. Une vision qui s’inscrit donc en résonnance avec cette quête, non du temps, mais du sens, renforcée par la crise. Les valeurs de proximité, de complicité, de partage sont donc recherchées par les Slowers. C’est aussi la notion de la transmission, du produit entre génération, de la culture, du savoir-faire. Une consommation porteuse de sens et dans un usage durable, et non plus une consommation uniforme et jetable.
Un changement de paradigme qui reste pour l’instant intégré par quelques entreprises isolées et qui n’a pas touché l’économie dans son ensemble. Mais qui sait, en 2014, les marques prendront peut-être le temps ?