l’Express, que vous dirigez depuis 2006 a fait peau neuve à l’occasion de ses 60 ans. Vous avez annoncé récemment « Les hebdomadaires ne doivent pas courir après l’actualité pour faire mieux que les quotidiens mais 48h plus tard, mais ils doivent faire autrement ». Est-ce la seule raison qui justifie cette nouvelle formule ?
« Non, ce n’est pas la seule raison, mais c’est pour cette dernière que notre nouvelle formule implique des changements aussi profonds. Ce n’est pas uniquement une nouvelle maquette que nous avons réalisée, c’est un changement d’organisation du journal et, pour le produire, un changement d’organisation de la rédaction. Il faut désormais une anticipation accrue de l’actualité dans les newsmags. Nous livrons à nos lecteurs des informations leur permettant de comprendre l’actualité qui arrive « après ». Pour tout ce qui est prévisible, comme un grand rendez-vous politique, un grand rendez-vous judiciaire ou une actualité géopolitique, il faut qu’on ait pu anticiper et choisir les sujets majeurs afin de rédiger les enquêtes qui permettent à nos lecteurs d’être armés pour comprendre les événements au moment où ils arrivent.
Quand l’événement arrive, nos lecteurs trouvent l’information à de nombreux endroits comme les sites internet, les chaines d’info continue, à la télé… Mais s’ils n’ont pas été armés intellectuellement avant, ils sont un peu démunis… On est dans une ère d’infobésité, des centaines d’informations circulent tous les jours. Les hebdomadaires sont là pour donner en amont les clés pour trier l’important de l’accessoire.
Les scoops demeurent aussi une fonction primordiale pour les news. Soit on devance l’actualité, soit on la crée. Si on ne peut pas la devancer, il faut la créer. Chaque semaine, il nous faut mener un travail d’investigation pour livrer des scoops. Enfin, les hebdomadaires ont également une vocation de prise de parole, d’expression d’opinions éditoriales très fortes. Il faut réaffirmer cette fonction, qui a présidé à la création des news il y a 60 ans. »
L’Express prend le virage et devient « ATAWAD » (Any Time, Anywhere, Any Device), quelles sont les spécificités de chaque composante de ce concept ?
« L’important est que tout est réalisé par une rédaction unique qui produit sur les différents médias numériques et papier. Une information pertinente la plus rapide possible sur le numérique et la plus approfondie possible sur le papier, chacune enrichissant l’autre.
Any time : c’est un grand apport du numérique aux hebdomadaires. Quand j’ai commencé ma carrière, un événement qui arrivait deux heures après le bouclage était traité 8 jours après. Aujourd’hui, un événement survenant 2 heures après le bouclage sera traité sur le site internet, et la marque de l’Express sera représentée grâce au numérique.
Any time signe aussi l’ère du mobile. Un site internet consulté sur un ordinateur fixe, une info qu’on va regarder sur la télé implique qu’il faut avoir le matériel. Or, désormais, tout le monde ou presque a son téléphone portable, et tout le monde l’a en permanence avec soi. C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’on a un tel outil, depuis l’invention des lunettes et de la montre, qui sont les deux seuls objets que l’on avait avec soi tout le temps. Les lunettes et la montre ne sont pas connectées avec le monde extérieur (NDR : maintenant si) à l’inverse du téléphone portable. Et c’est ce qu’on appelle Anytime.
Anywhere : à l’autre bout du monde une alerte lancée sur un smartphone nous informe de ce qui arrive dans son pays d’origine.
Et puis Anydevice : nous devons nous, rédactions, nous organiser pour pouvoir produire de l’information susceptible d’apparaître sur ces suppléments, tous ces outils du papier jusqu’au mobile en passant par cette nouvelle espèce d’outils que sont les tablettes. Ces dernières diffusent le travail fait pour le papier qui passe en version numérique, qui peut être payant contrairement à Internet où nous sommes dans l’ère de la gratuité.
Il existe une jonction entre la logique et les impératifs du papier et les avantages et les impératifs du numérique.
C’est également pour cela que dans la nouvelle formule nous avons développé l’Express Connect, qui est de la réalité augmentée : un flash à l’aide de son smartphone ou sa tablette sur un article du journal papier emmène le lecteur sur un espace numérique. Par exemple, en flashant un papier sur les relations France / Israël dans l’Express, le lecteur de cet article peut aller vers le hors-série « cahier de l’Express 1948 2013 : les relations entre France et Israël ». L’Express Connect emmène les lecteurs vers les espaces boutiques (payant) ou vers les espaces gratuits du site internet, ou encore vers nos partenaires annonceurs ou médias. »
Plus généralement, quelle vision avez-vous du marché des hebdomadaires d’actualité politique face à l’émergence des nouveaux outils d’information ?
« C’est un formidable défi avec deux aspects. Un aspect excitant et positif à 100% : la révolution technologique. Bouleverser nos méthodes de travail pour adopter ces outils et donc être les plus performants pour nos lecteurs est très excitant. Mais c’est perturbant, car toutes nos habitudes demandent à être changées.
L’aspect économique est le côté négatif de cette révolution. On subit une mutation des équilibres économiques : où va la pub, avec quel volume, avec quel prix ? une incertitude particulièrement difficile à vivre. La révolution de consommation des médias avec 3 points de croissance dans ce pays et de la publicité à foison serait un bonheur. Malheureusement, cela ne se fait pas dans ce cadre-là. »